lundi 15 octobre 2012

Les défis et les pièges du mouvement citoyen malgache #BAD2012 #powerofwe

 

Chaque année, j’ai l’habitude de participer au mouvement du BAD (Blog Action Day) où tous les blogueurs du monde écrivent sur un ou plusieurs thèmes et pour cette année 2012, le thème est The Power of We qu’on pourrait traduire librement par le pouvoir de la majorité ou encore le mouvement des citoyens. Il était naturel que le BAD choisisse ce thème pour cette année, car le monde est en train de vivre un mouvement de révolutions comme on en a rarement vu dans le passé. La première révolution a frappée la Tunisie lorsqu’un jeune marchand s’est immolé par le feu parce qu’il n’arrivait plus à payer les taxes et qu’il en avait marre de subir les rackets des autorités. Ben Ali est tombé après des décennies de dictature, une chose qui était impossible il y a seulement quelques années. Quelques mois plus tard, l’Egypte s’enflammait à son tour avec la place Tahrir qui est désormais devenue célèbre dans le monde. Le printemps arabe était enfin là après des hivers éternels de tyrannie, de censure, d’assassinats et j’en passe. On tablait sur les prochaines chutes de la Lybie, du Bahreïn, du Kuwait et de la Syrie. La Lybie est bien tombé après des mois de guerre et des milliers de morts. Alors que 2012 s’achève, la Syrie est le plus grand champ de bataille actuel avec une moyenne de 100 morts par jour qui passe dans l’indifférence générale, car l’occident et ses journalistes sont trop occupés à analyser la campagne présidentielle américaine.

Manipulation des citoyens

Le printemps arabe a commencé vers 2010, mais en 2009, une petit île (ou grande selon les perceptions) a aussi connue l’une des pires crises de son histoire. Une crise qui a commencée pour des broutilles et qui a dégénérée dans un affrontement au niveau national avec des victimes à tous les niveaux, sauf les dirigeants qui déblatéraient des slogans révolutionnaires pendant que les citoyens étaient utilisés comme des marches pour accéder au pouvoir suprême. Les analystes de tout bord ont écrit des livres entiers, des reportages et tout ce qui est possible de produire sur le type de révolution qui s’est déroulée à Madagascar. Il y a deux théories qui prévalent sur le mouvement citoyen de 2008 et 2009. La première est que le peuple était fatigué de Marc Ravalomanana à cause de son accaparement des secteurs économiques par son entreprise TIKO SA. Les concurrents de Marc Ravalomanana étaient harcelés, arrêtés et expulsés du pays comme dans l’affaire de l’entreprise Frères et Cie qui a eu l’outrecuidance d’importer l’huile alimentaire pour concurrencer celle produite par TIKO qui bénéficiait d’une exonération fiscale qui était tellement considérable qu’on ne pouvait que douter devant l’impartialité des autorités.

A cette époque, un jeune organisateur, DJ de formation, appelé Andry Rajoelina se lance dans la conquête de la marie de Tananarive avec la philosophie : Marre des vieux, place aux jeunes ! Il va sans dire que Marc Ravalomanana a vu ce nouveau venu d’un très mauvais œil et il a commencé à le harceler et bloquer sa tâche à la mairie. Nous sommes en novembre 2008 et je peux dire qu’à cette période précise, Andry Rajoelina croyait fermement qu’il voulait changer les choses. Il était honnête dans sa démarche, mais cet esprit Che Guevaresque n’a duré que quelques semaines, car les opposants de Marc Ravalomanana avec la bienveillante complicité de la France ont transformés Andry Rajoelina en une marionnette et que maintenant, il fallait absolument prendre le pouvoir par la force. Donc, on peut dire objectivement qu’il y a eu un embryon de mouvement citoyen où la majorité voulait que les choses changent, mais il était aussi éphémère qu’une éclipse solaire.

Andry Rajoelina est venu au bon endroit, au bon moment, car tous les opposants de Marc Ravalomanana en avaient marre de ses pratiques et qu’il fallait que cela explose. Après on connait les évènements qui ont suivis avec le pillage général pendant le 26 janvier 2009 et la tuerie d’Ambohitsirohitra du 07 février 2009. Des articles de blog et de médias légalistes ont pointés du doigt de nombreuses personnes qui auraient financés le coup d’Etat de 2009 et même si ce sont des accusations sans preuve, il existe des faits concordants qui impliquent que les opérateurs voulaient aussi un changement de pouvoir. En 2008 et avant l’avènement d’Andry Rajoelina, le gouvernement Ravalomanana avait lancé une vaste opération pour régulariser la fiscalité des entreprises et pour sanctionner les fraudeurs. Il est vrai qu’on peut faire la grimace lorsqu’une entreprise fait un chiffre d’affaires de 10 milliards de FMG par an et qu’il paie des impôts sur le revenu de 5 millions de FMG en corrompant les inspecteurs de la direction des impôts. La campagne a fonctionnée et les amendes étaient dures à avaler, des biens et des véhicules ont étés saisis à cette époque et c’est ce qui explique pourquoi les opérateurs se sont empressés de supporter Andry Rajoelina dans son Jeu de Trône.

Piège du mouvement citoyen

De ce fait, le premier piège et sans doute le plus redoutable du mouvement citoyen est qu’il est souvent instrumentalisé par les politiciens déçus ou aigris qui ne veulent que se venger. Et c’est ce qui s’est passé non seulement à Madagascar, mais également en Egypte et en Tunisie, car les courants fondamentalistes musulmans ont infiltrés la politique en transformant ces pays qui avaient soif de liberté en quelque chose d’extrêmement malsain. L’ironie est que tous ces fondamentalistes étaient en prison pendant le règne de Ben Ali… Quand on veut libérer les poules et les moutons, il faut faire attention à ce que les loups et les lions ne s’échappent pas.

A Madagascar, Andry Rajoelina a obtenu ce qu’il voulait en s’asseyant sur le siège suprême avec sa fameuse phrase qui aurait dû nous prévenir de son niveau intellectuel : Appelez moi président ! Et il était à peine assis que ceux qui l’avaient mis au pouvoir ont demandés leurs récompenses pour l’avoir financé et c’était la porte ouverte à tous les trafics qui ont commencés en 2009 et qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui. Andry Rajoelina ne peut rien faire contre ces personnes, car elles sont bien trop puissantes et riches. Le citoyen qui s’attendait à des changements drastiques dans sa vie n’a pas été déçu, car la vie du malgache a empiré jusqu’à l’extrême par rapport à l’ère Marc Ravalomanana. La fermeture de l’AGOA a été une estocade particulièrement meurtrière puisqu’elle a mis près de 500 000 personnes au chômage de manière directe ou indirecte. Les Etats-Unis ont argués que cette fermeture faisait suite à l’absence de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance, mais le fait est que Marc Ravalomanana était le chouchou des américains et qu’ils n’ont  trouvés que ce moyen de pression pour sanctionner le DJ. Il est évident que l’ingérence des pays étrangers dans le Coup d’Etat de Madagascar et des conséquences par la suite est un secret de polichinelle. La France, notamment, a été systématiquement accusée en utilisant la formule tout faite de la Franceafric. Même moi, je suis tombé dans ce piège en 2009 et 2010 et j’ai publié des articles incendiant la France et la Francafric à tour de bras. Avec le recul, je me rend compte de mon erreur. La Franceafric ou autre n’a pas fait de Coup d’Etat à Madagascar, mais elle a simplement suivi la vague en supportant Andry Rajoelina pour réduire l’influence anglo-saxon du gouvernement Ravalomanana.

 

Définition du mouvement citoyen

De ce fait, depuis l’accession au pouvoir d’Andry Rajoelina de 2009  et des rares mouvements d’oppositions contre la HAT (Haute Autorité de Transition), on se rend compte qu’il n’y a jamais eu de mouvement citoyen à Madagascar. Le peuple n’a jamais voulu écarter Marc Ravalomanana, mais leur apathie légendaire et maudite a fait qu’une minorité de personnes l’a fait passer comme tel. La définition d’un mouvement citoyen est qu’une majorité s’élève en même temps et qu’elle ait un seul mot d’ordre qui est l’expulsion ou la défaite du dictateur. On a vu a peu près la même chose en Syrie où le peuple ne voulait pas expulser Bachar al Assad, mais juste qu’il fasse les réformes nécessaires. Mais comme cette réforme n’était pas assez radicale aux yeux de certains gouvernements occidentaux, ils ont armés des groupes de rebelles et ils ont transformé ce pays comme un génocide en Live sous l’appellation de mouvement pour la liberté ou du citoyen pour faire passer la pilule.

A Madagascar, les opposants ont fait l’erreur de faire des discours politico-politiciens et hautement intellectuels pour illustrer l’illégalité du pouvoir en place. Ils utilisent des termes complexes tels que l’Etat de Droit, Respect des institutions, débat démocratique, mais la vérité est que nous, les citoyens lambdas, on s’en branle complètement de ces grands idéaux. Une étude sur la préoccupation d’un être humain montre que la famille vient d’abord, ensuite, la religion, ensuite les amis et enfin seulement le pays. Le lien du citoyen avec son pays est l’un des plus faibles qui existe. De ce fait, on ne peut pas demander à un citoyen de se battre pour son pays s’il a le ventre vide. Et les politiciens malgaches sont de la même trempe, mais en pire, la famille d’abord, les copains dans les postes hauts placés et ensuite, on donne quelques miettes au peuple. Mais la malveillance des politiciens est sans limite. Coluche que je considère comme un génie à l’état pur a démontré la nature profonde d’un politicien dans un sketch mémorable :

Vous savez, le pire est que nos politiciens ne sont pas cons. Ah non ! Ils ne sont pas cons, car si c’était le cas, on dirait que c’est des cons et on leur pardonnerait. Non, nos politiciens sont intelligents et cela signifie qu’ils font leurs conneries exprès. La famine en Afrique, les coups d’Etats organisés en Amérique Latine, le pillage des ressources encore en Afrique, ce sont toutes des actions qui sont réfléchies et faites en connaissance de cause. Ils savent exactement ce qui va se passer lorsqu’ils prennent une décision, mais ils la prennent quand même.

 

Des embryons d’initiative citoyenne

Après plus de 3 ans et demi de pratiques dictatoriales, on assiste à une petite poussée des initiatives citoyennes, notamment avec la banalisation des technologies de l’information. Même en 2009, les médias citoyens ont joués un rôle déterminant dans la collecte et le partage de l’information. Twitter, Facebook et les blogs ont permis de se jouer de la propagande officielle. De nos jours, la connexion internet est de plus en plus abordable ce qui amplifie encore plus le phénomène. Mais la mauvaise nouvelle est que si le citoyen a maintenant la capacité de s’exprimer avec des outils basiques, ceux d’en face sont encore plus puissants avec leurs moyens illimités. De 2009 à 2012, il y a plusieurs tentatives de mutinerie et à chaque fois, les médias citoyens ont étés débordés par la propagande sur le web. Le gros problème de la crise malgache est que ce n’est plus un problème politique, mais juste une lutte sans merci entre l’ego démesuré entre deux hommes, Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana. Et les partisans de ces deux larrons sont aussi radicaux que leur patron. Chacun essai de manipuler le peuple lorsque c’est nécessaire et il n’y a pas une once d’honnêteté et de transparence lorsque la fin justifie les moyens. 2012 s’achève en douceur, mais cela va se déchainer en 2013 lorsqu’on sera confronté aux échéances électorales des présidentielles. Je ne pense pas que les médias citoyens malgaches soient encore prêts pour affronter le déferlement de propagande qui va suivre.

Les blogueurs du millésime 2009 ont quasiment disparus à part quelques survivant tels que ce blog, Citoyenne Malgache, Fijery, mais d’autres ont abandonnés par dépit ou par peur des représailles. Même Reflexiums a dû la mettre en veilleuse pendant quelques mois à cause de l’obscurantisme de certains. Au pays des superstitions, les vendeurs de sirop guérit-tout sont rois. Cependant, on voit un fugace rayon de soleil dans ce brouillard de silence et de peur. Une nouvelle génération de blogueurs fait son apparition, mais tiendront-ils la cadence pour raviver jour après jour la fibre citoyenne ? Les médias de masse débarquent aussi en ligne, car le potentiel des internautes ne cessent d’augmenter. Mais certains médias ne changent pas leurs mauvaises habitudes et empirent même les choses (Salut Tananews !) et ce sera celui qui dira le mensonge le plus véridique.

Ces dernières années, de nombreux pays ont subis leurs mouvement de citoyens. On parle du printemps arabe, mais on a eu aussi le printemps d’érable avec les mouvements de contestation des étudiants au Québec. Pourtant, l’un des mouvements citoyens les plus efficaces à mon sens est celui qui s’est déroulé en Islande lorsque le peuple a refusé d’être pris en otage par les banques à cause de la quasi faillite du pays avec un référendum. Ce mouvement citoyen a été efficace, car le gouvernement a parfaitement respecté les pratiques démocratiques. De ce fait, le mouvement citoyen se mesure toujours à la bonne volonté du pouvoir et sinon, c’est la lutte du pot de terre contre le pot de vin.

Un mouvement citoyen n’a pas besoin d’être considérable pour changer les choses. Un mouvement peut dénoncer la corruption, dénoncer le racket par les policiers, refuser une décision injuste dans un quartier ou protester contre le traitement des marchands ambulants par les autorités. Car ce qui compte est de se rassembler autour d’un objectif commun, mais malheureusement, c’est ce qui manque à Madagascar. Malgré l’esprit d’entraide du peuple, on se rend compte que nous sommes partisans de l’adage de : Chacun pour soi. Et si vous osez même proposer une initiative à quelqu’un sans qu’il gagne quelque chose, il y a de bonnes chances qu’il appelle l’asile psychiatrique, car seul un fou peut faire quelque chose sans arrière-pensée.

Sans doute que je suis trop pessimiste, car j’ai assisté jour après jour à la déchéance de ce pays tandis que les groupes de mafieux continuent de s’enrichir encore et encore. Je ne crois plus à l’avenir de ce pays et je lui prédis un avenir à la République Centreafricaine, c’est à dire, un pays ravagé entre les luttes de multinationales pour monopoliser les ressources naturelles du pays. Combien connaissent la catastrophe de la pauvreté en République Centreafricaine, peu sans doute, car la situation de ce pays convient parfaitement à l’Occident, car ce sont ses propres entreprises qui sont sur place. Scénario trop apocalyptique ou Cassandresque, me direz-vous, mais cela a déjà commencé, mes braves. Cela commence par l’accaparement des terres, la perte total de contrôle du gouvernement en place et le refus de voir la réalité des dirigeants.

Mais même dans des perspectives sombres, on peut rêver d’un futur meilleur. Le mouvement citoyen est assez puissant pour tout dévaster sur son passage, mais une condition essentielle est une volonté de la majorité. Car quand le peuple parle en coeur, que l’on soit armé jusqu’aux dents ou qu’on possède des palais de marbre en face, on sera toujours obligé d’écouter.

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