vendredi 7 novembre 2008

Le procès de la sorcellerie

La férocité à l’égard de la sorcellerie naît du constat que le crime de sorcellerie est considéré comme le plus abominable qui soit dans une société où personne ne songe à remettre en question son adhésion à la religion chrétienne. Dans cette logique, le sorcier est un hérétique, mais surtout un apostat. Et puisqu’il commet son crime en toute conscience, le tribunal ne peut donc avoir de pitié à son égard.

L’interprétation de la sorcellerie européenne est surtout connue des historiens et chercheurs par les traces qu’en a laissé la répression. D’abord constitué dans le milieu de l’Inquisition, le mythe de la sorcellerie est diffusé et repris par les magistrats et les juges civils. D’ailleurs, à partir du xve siècle, l’Inquisition n’a plus de responsabilité dans la répression de la sorcellerie et ce sont les hautes justices (tribunaux seigneuriaux et royaux, parlements) qui, bien qu’aidées par les instances ecclésiastiques, prennent le relais de la chasse aux sorcières.

Puis au xviiie siècle, à la suite des instances séculières, l’Église cesse peu à peu ses poursuites. Elle considère alors les sorciers comme des malades, voire des possédés contre lesquels elle requiert l’exorcisme, dont la forme et l’usage sont fixés dès 1614.
Le procès de sorcellerie a le plus souvent pour origine une dénonciation de voisinage mettant en cause une crise des relations interpersonnelles quand l’exaspération d’une communauté rencontre l’oreille complaisante d’un juge. Celui-ci procède alors à l’information qui vise un fait ou une personne et entraîne une enquête appelant les témoins à comparaître. Indices et présomptions, plus que preuves réelles, suffisent pour procéder à l’arrestation car, le sorcier étant maudit, le juge n’a aucune précaution à prendre pour extirper des aveux — ce qui légitime la torture. Or, tout argument est retenu pour condamner : du simple tremblement de l’accusé à la pratique de l’ordalie.

Une fois l’interrogatoire clos, a alors lieu un procès ordinaire (aux peines pécuniaires) ou extraordinaire (aux peines afflictives, infamantes, voire à la peine de mort) selon la qualification requise pour le crime commis. Comparaissant devant la cour, l’accusé peut être soumis à la « question », faute de preuve à son encontre. La question relève de la torture et donne lieu, pour les magistrats, à un procès-verbal détaillé. La peine de mort réservée au sorcier est le feu où, au cœur du bûcher, il périt le plus souvent étouffé par les fumées.

Alors que les paysans dénoncent un individu pour les maléfices qu’il est supposé jeter à la communauté, et les torts qu’il est supposé lui porter, les juges traduisent ces dénonciations dans le langage de la sorcellerie démoniaque, l’imposant par la force et la persuasion à leurs victimes ; celles-ci, pour se délivrer de la torture et de son incroyable « instrumentologie », répètent et avouent alors des crimes issus des manuels de démonologie des juges. C’est pourquoi le crime de sorcellerie est partout identique et codifié car, si la procédure est scrupuleusement menée, l’idéologie des juges en pervertit la technique. Pour la victime, l’aveu apporte un soulagement physique et, pour le juge, la mort renouvelle sa propre foi.

La sorcellerie est donc une création des élites et ne s’impose que lentement dans les mentalités, par les conversations, les sermons, les légendes et les contes et plus encore par l’angoissante procédure des procès et le spectacle édifiant des exécutions. Indéniablement, la sorcellerie sert d’exutoire à tout un imaginaire fantastique.


« Pour un sorcier, dix mille sorcières » écrit Jules Michelet dans la Sorcière (1862). Parce que la tradition théologique fait de la femme un être impur qui subit, plus encore que les hommes, les malheurs de son époque (maternités difficiles, brutalités, etc.), elle la première est accusée de sorcellerie ; elle est, de fait, suspecte aux yeux d’une population qui redoute ses pouvoirs et ses savoirs traditionnels (plantes, remèdes ou simple mystère de l’enfantement).

La sorcière représente également la femme tentatrice, d’autant plus menaçante que l’Église cherche à imposer le célibat ecclésiastique. Avant de partir au sabbat, ne se frotte-t-elle pas le corps d’un onguent ou n’avale-t-elle pas une drogue (expliquant le sommeil, la sensation de vol sur un balai et le délire onirique propice aux visions) qui la dispose aux désirs charnels refoulés ? La sexualité est omniprésente dans la préparation des filtres d’amours comme lors des messes noires, où les femmes figurent nues et échevelées, dansent et s’accouplent avec ceux qu’elles désirent. Les pratiques nuisibles aux sacrements du mariage, aux sentiments et aux enfantements (« le nouement de l’aiguillette » et l’avortement) font aussi d’elles des personnages redoutés.

C’est d’ailleurs une femme à la plastique érotique, animale et sauvage qui domine le thème de la sorcière dans l’œuvre iconographique des grands peintres de l’époque, comme Francisco Goya, Albrecht Dürer ou Jean Luyken.

Distingués de la communauté par une tare physique (yeux rouges, taches de vin, etc.) ou par une infirmité, par la vieillesse, par la solitude (les sorcières vivent souvent à l’écart du village), ou par un métier (bergers, colporteurs, maréchaux-ferrants, accoucheuses, veilleuses de morts), les boucs émissaires sont toujours victimes d’une exclusion qui les condamne.

La répression de la sorcellerie est aussi l’expression de la misère ; les « épidémies » de sorcellerie correspondent à des périodes de crise économique ou sociale locale — corrélation entre la chasse aux sorcières et les dévastatrices guerres de religions du xvie siècle, qui demeurent sporadiques au siècle suivant. Ainsi, la Peste noire de 1348 déclenche une vague de sorcellerie en Haute-Provence, de même l’invasion française de la Lorraine entre 1580 et 1633, ou la jacquerie de 1639 en Normandie. En Suède, il n’y a qu’un seul grand procès de sorcellerie en 1670, en Dalécarlie, où une grêle dévastatrice a anéanti la région. En définitive, les « épidémies » de sorcellerie sont l’expression de crises collectives et d’angoisses individuelles lorsque Dieu ne répond pas à l’appel désespéré de ses créatures qui cherchent alors une consolation hors de l’Église.

Inversement, la fin de la répression de la sorcellerie en Europe correspond à un temps où les grandes famines se dissipent, où les paysans recherchent plus la possession de la terre que la promesse diabolique. Enfin, elle cesse partout d’être un culte mystifié lorsque le pouvoir des clergés en place s’estompe : la sorcellerie européenne meurt lorsque meurent les poursuites contre elle.

Les Questions sont les réponses à l'ignorance !!

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